Guillaume Gomez : Son livre de recettes
Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron.
Les présidents passent, lui reste. Guillaume Gomez travaille dans les cuisines de l'Élysée depuis 1997. En 2013, il en est devenu le chef, succédant à Bernard Vaussion, parti après quarante ans de service. Plus jeune Meilleur Ouvrier de France (MOF) à 24 ans, il a aujourd'hui 39 ans, comme l'hôte du Palais.
Le cuisinier collectionne des milliers de livres de recettes. Il publie mercredi le sien*, visuel et didactique, qui fait la part belle aux produits du terroir français et aux techniques, à travers 70 recettes traditionnelles. Un livre réalisé la nuit, le week-end. Car son rythme est effréné : l'homme s'engage aussi dans l'associatif pour défendre les produits et producteurs de qualité. A quelques mètres des dorures de la République, Guillaume Gomez reçoit dans son petit bureau, attenant aux fourneaux, où s'amoncellent médailles, coupes et autres prix. Au mur, ses diplômes côtoient la photo officielle du Président. Il est 7 heures du matin. Dans la grande cuisine, qui attend un coup de neuf, les 25 collaborateurs arrivent les uns après les autres.
Sur la couverture du livre, votre statut de chef à l'Elysée n'est pas mis en avant. Est-ce volontaire?
On me propose depuis des années d'écrire sur l'Elysée mais je refuse. Même si je travaille ici depuis vingt ans et que tout est forcément lié, j'ai fait ce livre en tant que Meilleur Ouvrier de France.
J'ai voulu un ouvrage de transmission qui se concentre sur les techniques et les bons gestes de la cuisine française. Il s'adresse aux générations futures, aux jeunes professionnels comme aux particuliers. Si vous maîtrisez toutes les recettes de ce livre, vous êtes un très bon cuisinier, vous pourriez même être chef d'un restaurant!
Les élèves apprennent encore sur le Larousse gastronomique, l'Escoffier et le Maincent, qui sont très bien faits mais avec lesquels j'ai été formé il y a vingt-cinq ans! Depuis, la cuisine s'est affinée, les techniques ont évolué : il fallait un livre pour tout revoir. Je veux que le mien vive, qu'il ait des taches de gras. J'ai laissé des pages blanches à la fin pour que chacun note ses astuces.
Œufs mimosa, blanquette de veau : on y trouve plus de plats de tous les jours que de plats de gala...
Ce sont les recettes traditionnelles qui ont fait la réputation de notre cuisine.
Pour chacune, je donne la version classique et j'ajoute mes astuces.
La différence entre un bon et un mauvais pot-au-feu, c'est le choix du produit et la maîtrise de la technique, tout simplement.
Pas besoin de poudre de perlimpinpin!
Quels plats du livre servez-vous à l'Elysée?
Trois sont estampillés "Elysée" : la saint-jacques, la soupe VGE créée par Paul Bocuse en 1975 et la pomme de terre moulée.
Peu de gens les cuisinent alors qu'ils sont plutôt simples : la pomme Elysée, par exemple, est technique mais cela reste de la patate, du beurre et du comté.
Je l'ai servie au déjeuner des 180 chefs étoilés reçus par Emmanuel Macron fin septembre, ils étaient ravis.
Comment apportez-vous votre patte à ces recettes mythiques?
Ce n'est pas parce qu'on est dans un cadre ancré dans la tradition qu'il faut vivre dans le passé.
La cuisine française a évolué, la table de l'Elysée aussi. Aujourd'hui, on ne met plus de pain pour lier les sauces, les cuissons sont plus courtes, on tient à la saisonnalité, au terroir.
Nous distinguons bien le protocole des dîners de gala et le quotidien des repas du Président, mais de ça, je ne vous parlerai pas...
Pourquoi ne voulez-vous pas parler des plats préférés du chef de l'état?
[Ironique.] Apparemment, les goûts du Président intéressent car on me pose toujours la question!
Ce serait une faute d'y répondre. Je répète souvent cette anecdote : Jacques Chirac avait dit un jour qu'il aimait la tête de veau.
Et partout où il allait, on lui en servait, quitte à le lasser! J'ai connu quatre présidents en vingt ans, tous étaient intéressés par les produits, le métier et la gastronomie. Ils savent tous que la cuisine est un pan important de notre économie.
A part les quelques grands dîners d'apparat, vous servez chaque jour les repas du couple présidentiel...
Je suis embauché par la présidence au service du chef de l'Etat : je suis employé de maison. Je le revendique! C'est mon boulot.
Je ne fais pas que des dîners de gala, il m'arrive de préparer des sandwiches.
Je ne sauve pas des vies, moi, je fais seulement à manger.
On pense que je parle au Président toute la journée : c'est très loin de mon quotidien.
Au quotidien, vous êtes très présent sur les réseaux sociaux.
C'est une façon d'être ouvert aux autres. Et de rester en contact avec les chefs du "G20 de la gastronomie" : ceux de Donald Trump, d'Angela Merkel, de la reine Elisabeth... Cela permet aussi de mettre en avant des producteurs. Mais je ne suis pas un people, je ne partage rien de ma vie privée. Je montre mon travail et je tweete sans demander l'autorisation mais avec bon sens.
Pourquoi accompagnez-vous vos messages du hashtag #Ilovemyjob?
Pour transmettre ma passion aux jeunes. Leur dire que les cuisiniers deviennent des stars par le travail pas par les médias.
Ce hashtag montre que j'ai la chance d'évoluer dans de beaux endroits, de rencontrer de grands chefs, rois et présidents mais qu'à côté, il y a le boulot : se lever tôt et se coucher tard.
On se coupe, on se brûle, on pue le poisson, on travaille quand les copains sortent... J'ai toujours travaillé sept jours sur sept. Je ne conçois pas mon métier autrement.
Aujourd'hui, la cuisine intéresse, tant mieux! Mais quand j'ai commencé, il y a vingt-cinq ans, c'était moins sexy : vous faisiez cuisine quand vous aviez raté quatre fois mécanique.